ALIENS
En hommage à la publication du génialissime Silence selon Jane Dark (Bravo pour le titre !) de Ben Marcus en lot 49, rapide détour par trois autres aliens de la fiction US pas (encore) publiés ici.
Gary Lutz : avec Stories in the worst way et I looked alive, Gary Lutz nous offre une série de portraits, parfois de quelques mots seulement, de narrateurs en quête de communication, souvent paranoïaques, toujours obsessionnels aux prises avec un univers à la fois abstrait et très noir. Comme chez Marcus, il faut éplucher plusieurs couches de sens, lâcher finalement les rênes avant que n’apparaisse l’humour et la dérision magnifique de Lutz. Mais avant toute chose, c’est une expérience de la phrase absolument inédite qu’il nous propose. L’exercice est quasiment pointilliste, pas un mot, pas une phrase qui ne soit poussé dans son ultime retranchement, là où, à l’instar de ses modèles le sens vacille, le quotidien se fait étrange, la vision à la fois floue et neuve, la singularité absolue. C’est l’étrangeté radicale qui primera à la première lecture, avant que l’oeuvre ne devienne, peu à peu, au fil des tentatives totalement addictive. En prime, et pour conclure, le début d’une des nouvelles de Stories : « From time to time I show up in myself just long enough for people to know they are not in the room alone. Usually, these are people who expect something from me -- a near future, a not-too-distant future. What I tell them is limited to the people I have already had myself married against. Everything I say is to the best of my knowledge and next to nothing. It comes nowhere close. »
Auteur d’une dizaine de livres plus étranges les uns que les autres (dont l’un a pour titre : ***), Michael Brodsky pousse les expériences proustiennes, swifitiennes et beckettiennes à leur point de radicalité ultime. Au premier abord intellectuelle, analytique, abstraite, l’écriture de Brodsky se laisse difficilement appréhender, là encore plusieurs tentatives s’avèrent nécessaires avant de trouver enfin à travers néologismes et parenthèses multiples le chemin menant au cœur battant du livre. Mon conseil est de commencer par son dernier roman, certainement le plus structuré, We can report them, l’histoire d’un publicitaire obsédé par la philosophie heidegerienne, les mathématiques et les serial killers. Pas simple, certes, mais tellement singulier là encore. « At that time I was collecting things. I collected stones, cigarette butts, supermarket receipts, cancelled postage stamps. They were the effluvial deposit of whatever feeling drew me toward them. Some feelings seem to be cancelled by acquisition. But immediately I had to get rid of them. The minute I touched them and I touched them badly I tainted them, I had to get rid of them. For they tainted me. They were reminders of my infection. They were all reduced after a very short time to the common denominator of my misuse of them. Jettison was the only solution. I possessed nothing. I forced them on others. Because throwing them away would have been a feeble jettison. I had to force them on others, encounter resistance, in order to make my jettison acceptable. The minute I got rid of them I felt free, I was reduced to my essence, I coincided with myself Then the old craving set in. I was too bare, I had to cover my nakedness. I sought out more butts and scraps. I painted them then removed the paint, covered them with paper, tore off the paper. Sometimes I wanted them all to look the same. That tactic seemed to domesticate them. At other times my only consolation was that they did not resemble each other in the least. That way I did not concentrate on any one, I was not forced to look at one, because I was distracted immediately by all the others. I was suffering but my foresight was an impediment to suffering. I knew it would end, somehow. »
David Ohle – Je crois avoir déjà plus bas évoqué The age of Sinatra, la suite de Motorman, roman culte si il en est, de David Ohle. Celui-ci invente un monde radicalement étrange, dans lequel le héros, Moldenke, simple bureaucrate essaie d’échapper au contrôle d’une société totalitaire, et en particulier aux coups de fils d’un certain Mr Bunce qui semble tout savoir de lui, jusqu’à ses pensées les plus intimes. Parti à la recherche de ses deux alliés, son médecin, le docteur Burnheart et l’élue de son cœur, Cock Roberta, Moldenke croisera sur son chemin d’étranges créatures, en particulier les Jellyheads, créatures sucrées, dont l ‘une des caractéristiques est de bouleverser les lettres de leurs phrases avant de les remettre dans l’ordre, le tout entrecoupé de lettres, d’anecdotes, de rapports scientifiques et de bulletins météorologiques divers. Grand frère de tout le courant absurdiste, on a compris que David Ohle était tout à fait indispensable.
Gary Lutz : avec Stories in the worst way et I looked alive, Gary Lutz nous offre une série de portraits, parfois de quelques mots seulement, de narrateurs en quête de communication, souvent paranoïaques, toujours obsessionnels aux prises avec un univers à la fois abstrait et très noir. Comme chez Marcus, il faut éplucher plusieurs couches de sens, lâcher finalement les rênes avant que n’apparaisse l’humour et la dérision magnifique de Lutz. Mais avant toute chose, c’est une expérience de la phrase absolument inédite qu’il nous propose. L’exercice est quasiment pointilliste, pas un mot, pas une phrase qui ne soit poussé dans son ultime retranchement, là où, à l’instar de ses modèles le sens vacille, le quotidien se fait étrange, la vision à la fois floue et neuve, la singularité absolue. C’est l’étrangeté radicale qui primera à la première lecture, avant que l’oeuvre ne devienne, peu à peu, au fil des tentatives totalement addictive. En prime, et pour conclure, le début d’une des nouvelles de Stories : « From time to time I show up in myself just long enough for people to know they are not in the room alone. Usually, these are people who expect something from me -- a near future, a not-too-distant future. What I tell them is limited to the people I have already had myself married against. Everything I say is to the best of my knowledge and next to nothing. It comes nowhere close. »
Auteur d’une dizaine de livres plus étranges les uns que les autres (dont l’un a pour titre : ***), Michael Brodsky pousse les expériences proustiennes, swifitiennes et beckettiennes à leur point de radicalité ultime. Au premier abord intellectuelle, analytique, abstraite, l’écriture de Brodsky se laisse difficilement appréhender, là encore plusieurs tentatives s’avèrent nécessaires avant de trouver enfin à travers néologismes et parenthèses multiples le chemin menant au cœur battant du livre. Mon conseil est de commencer par son dernier roman, certainement le plus structuré, We can report them, l’histoire d’un publicitaire obsédé par la philosophie heidegerienne, les mathématiques et les serial killers. Pas simple, certes, mais tellement singulier là encore. « At that time I was collecting things. I collected stones, cigarette butts, supermarket receipts, cancelled postage stamps. They were the effluvial deposit of whatever feeling drew me toward them. Some feelings seem to be cancelled by acquisition. But immediately I had to get rid of them. The minute I touched them and I touched them badly I tainted them, I had to get rid of them. For they tainted me. They were reminders of my infection. They were all reduced after a very short time to the common denominator of my misuse of them. Jettison was the only solution. I possessed nothing. I forced them on others. Because throwing them away would have been a feeble jettison. I had to force them on others, encounter resistance, in order to make my jettison acceptable. The minute I got rid of them I felt free, I was reduced to my essence, I coincided with myself Then the old craving set in. I was too bare, I had to cover my nakedness. I sought out more butts and scraps. I painted them then removed the paint, covered them with paper, tore off the paper. Sometimes I wanted them all to look the same. That tactic seemed to domesticate them. At other times my only consolation was that they did not resemble each other in the least. That way I did not concentrate on any one, I was not forced to look at one, because I was distracted immediately by all the others. I was suffering but my foresight was an impediment to suffering. I knew it would end, somehow. »
David Ohle – Je crois avoir déjà plus bas évoqué The age of Sinatra, la suite de Motorman, roman culte si il en est, de David Ohle. Celui-ci invente un monde radicalement étrange, dans lequel le héros, Moldenke, simple bureaucrate essaie d’échapper au contrôle d’une société totalitaire, et en particulier aux coups de fils d’un certain Mr Bunce qui semble tout savoir de lui, jusqu’à ses pensées les plus intimes. Parti à la recherche de ses deux alliés, son médecin, le docteur Burnheart et l’élue de son cœur, Cock Roberta, Moldenke croisera sur son chemin d’étranges créatures, en particulier les Jellyheads, créatures sucrées, dont l ‘une des caractéristiques est de bouleverser les lettres de leurs phrases avant de les remettre dans l’ordre, le tout entrecoupé de lettres, d’anecdotes, de rapports scientifiques et de bulletins météorologiques divers. Grand frère de tout le courant absurdiste, on a compris que David Ohle était tout à fait indispensable.
1 Comments:
Lutz, Brodsky, Ohle… et D'artagnan, ça serait… ? Richard Grossman?
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