mercredi, juin 20, 2007

Mais QUE FOUTENT LES EDITEURS (Part 7)


De retour de Londres, Cartwright est victime d’une tentative d’assassinat.
Quelques jours plus tôt, l’appartement de son ami Di Gorro a été cambriolé, la pellicule du documentaire que Cartwright et lui ont tourné quelques années plus tôt exposé à la lumière, détruit.
Qui en veut à Cartwright ? Qui peut être menacé par le contenu du film ?
Il s’agissait avec celui-ci de donner la parole à des révolutionnaires, des terroristes, des groupes radicaux, des tenants du complexe militaro industriels et autres cultes ésotériques – voyage dans la contre-culture, la folie technologique et la contestation violente, de Londres à Chartres, en passant par Bastia et Stonehenge, sans ligne narrative – images brutes ouvertes à la libre interprétation de chacun.
Cartwright fait retour sur le film, à partir du journal de tournage. Les occurrences se multiplient, les pistes se recoupent, il se retrouve bientôt au milieu d’un réseau aux mailles multiples.
Qui se cache vraiment derrière Outer Films, la société qui a produit le film ? Qui a engagé cette seconde équipe, qui tournait en même temps que Cartwright et Di Gorro ? Un deuxième film, serait venu doubler le leur – pour quelle raison ? Et si un autre montage révélait une autre vision des choses ? A-t-on volontairement tenu Cartwright à l’écart des implications réelles du film ?
Et les proches de Cartwright ne sont-ils pas partie du complot ? Si plus encore que le film, c’était sa famille que l’on cherchait à détruire ? Claire, sa nièce, employée par Outer Films, Monty Graf, le petit ami de celle-ci, la mystérieuse Jane Aut, sœur de Monty, et épouse de Phil Aut, propriétaire de Outer Films. Et Reid, le fiancé de Jenny, la fille de Cartwright – sa propre femme : tous semblent en savoir plus sur le film qu’ils ne veulent bien le dire.
A moins qu’ils ne fassent tous qu’interpréter le film en fonction de leurs intérêts personnels, de leurs structures psychiques ? Chaque rencontre que fait Cartwright semble en effet ouvrir à une signification nouvelle de son film – qui, finalement, semble n’exister que dans un espace indéfini entre son interlocuteur et lui, avec un sens différent à chaque fois (Conception Powersienne en diable !)
Cartwright arrivera-t-il au cœur du mensonge ? Et pour trouver quoi ? Le véritable objet du film n’était-il pas la manipulation ? Cartwright n’est-il alors qu’une marionnette – et qui tire les ficelles ?

Les informations se coupent, se recoupent, les connexions se multiplient, les interprétations se chevauchent à l’infini, au gré de courants contraires. Expérience de la prolifération de sens. Plus Cartwright recueille d’informations, plus le bruit augmente, moins son idée du tout est claire. Jusqu’au moment où enfin il change de perspective et se met en quête non plus d’informations mais de relations, se plaçant ainsi au centre d’un réseau, puis d’un ensemble de réseaux, dans lequel la vérité, le sens du Réel et du Vrai s’estompent, pour ne laisser comme seule issue que la recension, le catalogage, la topographie d’un monde ou le référent a sombré. Plus de clarification possible dans un monde ou la donnée a fait place au symptôme – place à la seule perception et à la mesure. Trouver sa place au centre d’un réseau, d’une multitudes de systèmes. Prise de conscience de n’être pas au centre, mais un centre parmi une multitude. L’homme comme laboratoire de fiction, appréhension instable du réel, nébuleuse du système nerveux, le langage comme interface imparfaite : multiplication des interprétations, des ramifications, des appréhensions, des réseaux du possible. Et si le monde échappait à toute prise, même subjective ?

« Les évènements de LC ne sont pas linéaires ; ce sont des collections de dispersions en direction de ce que vous pourriez appeler désordre, ou des transitions provisoires, des noeuds ou des points magnétiques ou tout ce rassemble. Transcender la métaphore et aller vers l'homologie, voilà mon propos. » Joseph McElroy

Fiction neuronale par excellence, Lookout Cartridge, est le frère de sang de Gravity, paru la même année. Tirons un seul des fils de ce chef d’œuvre absolu, dont l’absence ici tient du scandale, la perte de la contre-culture dès le début des années 70, et le nouvel environnement technologique. McElroy écrit – et prends la mesure à ce moment précis, tournant crucial, de ce qui est en train d’arriver sous ses yeux. Plus que la destruction d'un film, c'est de la destruction de l'idéalisme dont il s'agit. Le changement historique, qui avec l’avènement des médias finit de bouleverser l’idée d’une Vérité ultime derrière les apparences. Plus que le film, c'est l'espoir de cette vérité qui est détruit. Conséquence immédiate, au cœur même du roman, l’impossibilité qu’il y a désormais à traiter les évènements, les faits, les existences mêmes en dehors d’une technique (écrite ou non) qui par nature déforme en ajoutant du sens. L’impossibilité d’une neutralité.

Hormis le fait de cacher au public français cette vérité cruelle – que DeLillo est un nain austère – impossible de savoir pourquoi Lookout, comme l’ensemble des œuvres de McElroy, n’a jamais franchi l’atlantique. Vous me direz qu’il a bien fallut vingt ans à Powers avant de nous arriver. Si, pourtant, messieurs les éditeurs, il devait n’y en avoir qu’un….

1 Comments:

Blogger Olivier Lamm said...

indeed. oh, indeeeed.

1:16 AM  

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